Les baisers de Céline
Les Baisers de Céline
Chapitre 1 – Joyeux anniversaire
Quand le feu devient froid, qui est là ?
On dirait bien que c’est moi.
« Mais si, fais-moi confiance. Ça va te plaire. »
La voix de Sonia paraissait étrangement confiante et Céline, bien que connaissant par coeur sa petite soeur, avait cette fois-ci du mal à lire en elle.
- Je me demande bien où tu m’emmènes…
- Tais-toi un peu, on y est presque.
- On aurait pu prendre le bus.
- Il n’y a pas de bus qui passe dans ce trou du cul du monde.
Sonia marquait un point. Céline, qui venait ce jour-là d’avoir 23 ans, n’avait jamais été pratiquement surprise des cadeaux d’anniversaire que lui offraient sa soeur. Quand elles étaient plus jeunes, elle lui offrait surtout des cadeaux qui finissaient par lui servir à elle. En tout cas, jamais rien de bien sérieux. C’est pour cette raison précise que Céline avait hâte de découvrir sa surprise cette fois-ci. Le fait de devoir aller dans la campagne à pieds, en pleine nuit, éclairé seulement d’une lampe torche, n’était vraiment pas banal. Bien qu’animée d’une légère appréhension – se pourrait-il que ce soit une blague ? – Céline éprouvait de la joie en voyant que sa soeur s’était donné tant de mal pour elle. L’amour qu’elle lui portait était donc réciproque.
Sonia s’arrêta au milieu d’un champ de maïs.
- On y est, dit-elle.
- Mais il n’y a rien, ici.
- Attends un peu.
Quelques secondes s’écoulèrent.
- Qu’est-ce qu’on attend ? demanda Céline, les yeux toujours rivés sur le champ vide.
Pas de réponse.
» Sonia ? »
Elle se retourna. Personne. Sonia était partie – avec la lampe-torche. Céline se retrouva alors seule dans un noir presque total. Elle se dit de prime abord qu’il s’agissait d’une blague et que sa soeur allait bientôt surgir pour lui faire peur. Une blague d’anniversaire plutôt « originale », ça oui.
Une minute. Deux minutes. Trois minutes. Rien.
Céline regarda autour d’elle et aperçu une petite lumière blanche au milieu de la route, à une vingtaine de mètres. Elle s’approcha lentement. C’était la lampe de Sonia, gisant par terre comme un animal écrasé. C’est à ce moment-là que Céline réalisa qu’il ne s’agissait peut-être pas d’une blague.
Elle ramassa la lampe, regarda autour d’elle, appela plusieurs fois sa soeur mais sans réponse. Elle parcourue alors le champ en promenant le faisceau de sa lampe autour d’elle. Elle ne trouva qu’un renard qui s’enfuit en la voyant. Ainsi qu’un petit animal qui s’envola – surement une chauve-souris.
Joyeux anniversaire.
Une voix. Une voix d’homme. Céline se retourna brusquement et vit enfin une autre présence humaine. Hélas, ce n’était pas sa soeur.
C’était un homme d’une trentaine d’année, plutôt beau, avec de longs cheveux blancs qui lui tombaient jusqu’au milieu du dos, habillé d’un manteau noir, affublé d’un chapeau noir, avec deux yeux noirs profonds. Il était extrêmement séduisant, mais Céline ne s’attendait pas à tomber sur une telle personne au milieu d’un champ, en pleine nuit.
- S’il vous plaît, je cherche ma soeur, elle est un peu plus jeune que moi et elle me ressemble, vous ne l’auriez pas…
Avant que Céline ne put finir sa phrase, l’homme disparu instantanément, comme un mirage. Elle sentit alors un souffle chaud derrière elle.
Joyeux anniversaire.
Deux pointes se plantèrent alors dans son cou et Céline sentit une atroce douleur. Un liquide chaud coula sur son dos et sur sa poitrine. Elle comprit très vite qu’il s’agissait de sang et qu’elle était en train de se faire mordre par l’homme qui venait de lui souhaiter un joyeux anniversaire.
Céline se débattit mais la force physique de l’homme noir semblait de loin supérieure à celle d’un homme ordinaire. Il n’eut aucun mal à la tenir immobile, pendant qu’il lécher le sang qui lui sortait de la nuque avec une langue qui avait une texture étonnement lisse.
Céline sentit alors sa conscience la quitter rapidement…Elle eut le temps de voir une dernière chose avant que l’obscurité n’envahisse complètement ses yeux. Elle sentit également quelque chose.
Mais…Tu…
Chapitre 2 – Embrasse-moi, vampire !
Et les cauchemars sont bons, si bons…
Papa avait raison
Il disait que les cauchemars étaient bons.
Ce matin-là, Céline ne se réveilla pas dans son lit comme elle l’aurait voulu, ni dans un champ comme elle s’y serait attendu mais sur un banc, en plein centre-ville de Limoges – la ville où elle habitait -, devant la fnac. Une couverture couleur-crème, visiblement neuve se trouvait sur son corps et Céline avait extrêmement chaud. Bien plus chaud que si elle était dans son propre lit, avec sa propre couverture. Elle s’assit sur le banc pour reprendre ses esprits. Sa tête tournait et elle sentait une douleur en deux points de sa nuque. Elle se souvint alors de ce qui s’était passé la nuit de son anniversaire…Non, c’était impossible. Ça n’arrive que dans les films.
Céline était une grande amatrice de films d’horreur, depuis qu’elle avait vu Urban Legend III à la télévision étant petite. Elle en avait vu une bonne cinquantaine depuis et connaissait bien les histoires de vampires. Elle savait tout sur eux, du moins, elle croyait tout savoir jusqu’à présent. L’une des choses dont elle était sure, c’est qu’ils n’existaient pas. Et pourtant…
Perdue à essayer de se souvenir, et probablement sous l’emprise du choc, Céline mit un certain temps à comprendre pourquoi la couverture qu’on lui avait laissé était si chaude. La texture ne faisait pas penser à du tissu, ni la couleur. Il s’agissait plus de…peau humaine ?
Céline, dégoûtée, jeta la couverture sur le sol et s’enfuit vers son appartement. Elle devait raconter tout ça à son copain mais…le croirait-il ? Qui croirait une telle histoire ? Non…A lui, elle pouvait lui faire confiance, elle le savait. Il n’avait jamais trahit sa confiance. Il la croirait certainement.
Arrivée chez elle, Céline connu un instant effroyable quand elle ne trouva pas ses clefs. Pourtant, elle était certaine de les avoir prises avec elle la nuit dernière. Les lui aurait-on volées ? Il y avait tant de scénarii possibles. Ne les trouvant pas, elle appela son copain au téléphone…pas de réponse. Elle réalisa alors quelque chose.
Sonia.
Elle ne savait toujours pas ce qu’elle était devenue. S’était-elle faite attaquer, elle aussi ? S’était-elle faite mordre ? Etait-elle en vie ? Au Diable son appartement, il fallait qu’elle retourne dans cette satanée campagne pour retrouver sa soeur.
« C’est ça que vous cherchez ? »
Céline regarda sur sa droite. Un jeune homme métisse aux cheveux frisés d’une vingtaine d’année. Il avait une démarche un peu étrange et ne se tenait pas droit. Ses yeux étaient très sombres. Céline remarqua qu’il lui ressemblait un peu.
Il lui tendit un trousseau de clef. C’était le sien.
- Vous l’avez fait tomber. J’ai pensé que vous en aurez besoin.
- Merci, dit Céline en prenant le trousseau.
Le jeune homme changea de trottoir et se dirigea vers la fac de sciences qui devait se trouver 500 mètres plus loin.
Céline put enfin rentrer chez elle.
Chapitre 3 – La mère du soupir
Mater Suspiriorum
- Salut !
- Salut, qu’est-ce que tu fais là ?
- Tu m’as donné les clefs, rappelle-toi. Comme je n’ai pas pu le fêter avec toi hier à cause du boulot, je suis venu te le souhaiter aujourd’hui. Bon an…
- Ma soeur a disparu !
Engueran, le copain de Céline, la regarda d’un air surpris et interrogateur. Elle s’apprêtait à poursuivre, quand, tout à coup, une vive douleur lui traversa la nuque, puis l’épaule, et se répendit dans tout son corps. Céline s’affala sur le sol. En plus de la douleur, elle avait soif.
« Céline ! Qu’est-ce qui t’arrive ? »
Céline toussait de manière incontrôlable pendant qu’Engueran se précipita sur elle pour essayer de la relever.
« Céline…Tes yeux… »
Mais Céline n’entendit pas ce qu’il disait. Son corps semblait étrangement lourd et sa conscience se faisait de plus en plus floue. Elle n’aurait su l’expliquer avec des mots mais elle se sentait de plus en plus comme un animal. Un animal affamé.
« Céline…Tes dents… »
Céline soupira. Elle saisit le torse du jeune homme d’une main terminée par cinq griffes de chat et le jeune homme poussa un cri de douleur. Sans effort, Céline se releva, sans lâcher son copain. Elle ouvrit une bouche béante et…
« Céline… »
Quand Céline se réveilla, elle ne se souvint d’abord ni d’avoir vu Engueran, ni même de l’incident de la nuit précédente. Seulement que Sonia avait disparu. La vue du cadavre ensanglanté qui gisait sur le sol de son appartement, et dont les deux chats de Céline faisaient leur repas, lui rafraichit la mémoire.
« Non…Ça ne peut pas être vraie…C’est un cauchemar… »
Pourtant, ce qui se trouvait devant elle n’avait rien de factice. L’appartement était sans dessus-dessous. Visiblement, le jeune homme s’était débattu. Les murs et le sol avaient été décorés de perles rouges vives et le cadavre se tenait par terre, immobile, deux énormes trous dans la gorge. C’était la première fois que Céline voyait un mort.
C’est moi qui ai…
La jeune femme éclata en sanglot. Elle ne se souvenait pas avoir été si malheureuse depuis l’accident de scooter de Sonia, deux ans auparavant. Elle avait retenu cet évènement comme le pire souvenir de sa vie…mais là…L’une des personnes qui lui était la plus chère venait de mourir…sous sa lame. Elle venait de commettre un meurtre. Comment vivre avec ça ? Et puis, sa vie était finie. Elle allait passer le restant de ses jours en prison. C’était surement ce qu’elle méritait.
Céline s’approcha du mort, déposa un baiser sur ses lèvres et continua à pleurer.
Ne m’oublie jamais. Ne me pardonne jamais.
Chapitre 4 – La mère des larmes
Mater lacrimarum
Après avoir déposé le corps dans son lit, recouvert d’une couverture, et avec des fleurs posées sur son corps – Céline n’avait pu mettre que ce qu’elle avait trouvé, des tournesols – la jeune femme était en train de faire son deuil. Elle n’arrivait pas à réaliser qu’elle venait de tuer celui qui lui avait donné tant d’amour, bien plus que son père, et qu’elle ne l’avait jamais vraiment remercié. Elle aurait voulu remonter le temps et écrire une lettre à la petite fille qu’elle était 10 ans auparavant pour lui dire comment ne pas faire d’erreur, comment rembourser sa dette envers les autres et surtout comment éviter ce qui était arrivé. Elle savait qu’elle n’arriverait pas à dormir pendant des semaines, des mois – peut-être plus jamais – à se questionner sur comment changer le passé. Étrangement, pourtant, c’est la situation inverse qu’elle s’imaginait. Elle voyait une petite fille, une Céline de 12 ans lui remettre une lettre lui demandant de sourire, de ne pas oublier comment être heureuse, et à la fin de la lettre il y aurait écrit « Je prie pour ton bonheur, future-moi. » Pourquoi s’imaginer un tel scénario ? Bref…
Après avoir estimé avoir fait son deuil – mais serait-il un jour terminé ? – Céline se dit qu’elle avait deux choses à entreprendre : se soigner de cette « maladie » – car la voilà vampire, ne l’oublions pas- et retrouver sa sœur. A vrai dire, elle n’avait aucune idée de comment résoudre l’un ou l’autre des problèmes et la seule personne à qui elle pouvait se confier venait de périr sous ses crocs.
La seule ? Non. Il y avait une personne qui la comprendrait peut-être, elle était jeune mais…
NON !
Elle ne pouvait pas prendre le risque de tuer un autre proche, surtout pas son petit frère. En fait, elle ne devait plus voir personne, ni sortir de chez elle. C’était beaucoup trop dangereux. Il aurait suffit qu’elle ait encore faim ou soif…ou quoi que ce soit.
Céline avait besoin de se reposer. Elle s’allongea sur son canapé et mit un temps déraisonnable à s’endormir, après toutes ses émotions. Plusieurs questions se bousculaient dans sa tête : Engueran allait-il se réveiller et devenir un vampire lui aussi ? Et elle, qu’allait-elle devenir ? De quoi allait-elle se nourrir ? De sang d’animaux ? Et surtout, est-ce que Sonia était un vampire, elle aussi ?
Au bout de plusieurs heures, Céline aurait pu s’endormir et l’aurait fait si ça ne s’était pas produit. Alors qu’elle sombrait dans les bras de Morphée, elle sentit, presque imperceptiblement, quelque chose bouger…quelque chose…dans son ventre.
Chapitre 5 – La mère des Ténèbres
Mater Tenebrarum
1
Céline sauta hors de son canapé. Non…Elle avait rêvé…C’était impossible. Impossible. Impossible. Impossible.
Elle resta sans bouger 10 bonnes minutes, attentive au moindre mouvement dans son corps. Au bout d’un quart d’heure, ça bougea à nouveau. Un coup de pied ? De poing ? D’autre chose ? Céline éclata de nouveau en sanglot. Comment cela était-il arrivé ? Etait-ce l’homme en noir ou, pire encore, avait-elle…
Non.
Que faire ? Si ses déductions étaient exactes, non seulement elle allait bientôt avoir faim, mais en plus, elle allait devoir nourrir cette…chose.
A moins que…
Céline se précipita dans sa cuisine et en sortit une grande paire de ciseaux. Elle pointa la double lame vers son ventre, pris une grande inspiration et…
Tu n’oseras jamais…
D’où venait cette voix ? Céline l’avait entendu dans sa tête, mais ce n’était pas la petite voix avec laquelle elle pensait d’habitude.
Tu n’es qu’une lâche…
Céline lâcha les ciseaux et prit sa tête dans ses mains, y enfonçant ses nouvelles griffes jusqu’à se faire saigner. Elle avait presque oublié qu’elle était désormais dotée de griffes. Il fallait qu’elle se voit. Dans les films, les vampires n’ont pas de reflet dans un miroir. Elle devait le vérifier par elle-même.
Elle couru jusqu’au miroir de la salle de bain et supposa que certains faits qu’on voit dans les films étaient des inventions car elle pu se voir…mais eu énormément de mal à se reconnaître. Ses yeux étaient aussi rouge que du sang, ses canines étaient plus longues que celles d’un chat et sa peau était blanche comme celle d’un albinos. Etrangement, elle se trouvait presque plus belle qu’avant.
C’était décidé, elle allait appeler quelqu’un. N’importe qui. La police. Les pompiers. L’hôpital. Il fallait qu’on l’aide. De toute façon, on la croirait en voyant ses canines, ses yeux et son tain.
Céline sortit de la salle de bain et sortit son téléphone de la poche de son jean. Lorsqu’elle commença à composer le 15, elle sentit une atroce douleur dans son ventre, qui lui fit lâcher le téléphone et s’affaisser sur le sol. Elle cracha du sang.
2
« Je peux vous aider, mademoiselle ? »
Céline ne savait pas trop quoi répondre. C’était la première fois qu’elle faisait ce genre de chose. Elle avait peur.
- Oui, vous auriez une cigarette, s’il vous plait ?
- Bien sûr, répondit le jeune homme blond qu’elle avait trouvé devant la fac de sciences.
Il lui tendit une cigarette que Céline alluma et fuma. Peut-être que ça suffirait à tuer le bébé-vampire, se dit-elle.
- Si je peux me permettre, reprit le jeune homme, pourquoi portez-vous des lunettes de soleil en pleine nuit ? Il pleut, en plus.
- J’ai les yeux très sensibles…vous venez chez moi ?
- Pardon ?
- J’habite à deux pas d’ici…Venez chez moi, s’il vous plait, j’ai quelque chose à vous dire.
Le jeune homme blond était un garçon de petite taille, avec des lunettes et qui était visiblement puceau. Comprenant tout de suite ce que voulait dire la proposition de Céline, il accepta assez rapidement. Céline le guida sans dire mot jusqu’à son immeuble.
- Vous vivez seule ? finit par demander le garçon dans l’ascenseur.
- Maintenant oui.
Céline s’approcha alors lentement du garçon qui semblait ne demander que ça. Il s’approcha également d’elle. La jeune femme, de sa main, balaya le visage du garçon pour découvrir sa nuque et mordit de toutes ses forces. Elle sentit ses dents pénétrer dans la chair du jeune garçon et, de sa langue, lécha le liquide qui jaillissait.
Le garçon anonyme hurla, mais pendant un très court laps de temps. Céline absorba assez de sang pour le tuer en un temps record. C’était la deuxième fois qu’elle tuait.
Le garçon s’écroula par terre. Céline enleva ses lunettes de soleil et finit le travail en buvant tout ce qu’elle pouvait.
Chapitre 6 – Les femmes viennent de Vénus, les vampires de l’Enfer
« Non merci, je ne bois jamais…de vin. »
Céline s’était habituée à sortir avec des lunettes de soleil. Quand on lui demandait pourquoi, elle n’osait jamais dire qu’elle était aveugle, ça ne serait pas passé, mais il lui arrivait souvent de répondre qu’elle avait les yeux sensibles à la lumière et que les lampadaires lui agressaient la vue. Quant aux gants pour cacher ses griffes, il lui suffisait de dire qu’elle avait froid.
La vie de monstre lui paraissait incroyablement solitaire. Cependant, elle commençait à se complaire au petit jeu qu’elle avait mit en place chaque nuit. Le but était simple : ramener des personnes chez elle et les dévorer. Certes, massacrer des innocents était mal, mais puisqu’elle était obligée de le faire pour survivre, autant y trouver de l’amusement. Généralement, elle invitait un homme chez elle, parfois une femme. Avant de passer aux choses sérieuses, elle lui plantait sa paire de ciseaux dans le ventre et léchait le sang qui jaillissait. Parfois, elle variait un peu : elle mordait directement, ou bien elle utilisait un couteau qu’elle passait sous la gorge de la malheureuse victime. Elle avait besoin de tuer en moyenne une personne tous les trois jours, avant d’avoir de nouveau soif. Elle cachait les corps en pleine nuit, au fond de la poubelle de son immeuble, après les avoir découpés en morceaux et mis dans un sac-poubelle. Ce n’était pas si dur de tuer de parfaits inconnus. En revanche, Céline ne pouvait se résoudre à tuer ses chats.
Deux choses l’inquiétaient toujours, cependant : sa soeur et la chose qu’elle portait en elle. Chaque nuit, après avoir pris des « forces » elle se rendait à la campagne où elle avait disparu pour essayer de retrouver Sonia, en vain. Elle avait lancé un avis de recherche à la police, mais cela faisait une semaine qu’elle attendait leur appel. Mais…avait-elle toujours une raison de s’inquiéter pour sa soeur maintenant qu’elle était elle-même en Enfer ?
La deuxième chose était tout aussi problématique, et Céline ne pouvait l’ignorer. La créature, quelle que soit son apparence, grandissait dans son ventre, elle le sentait. Visiblement, c’était bien plus rapide que pour un bébé humain. A quoi allait-il ressembler ? Aurait-il les yeux rouges lui aussi ? Aurait-il plusieurs têtes ? Ressemblerait-il à une araignée ? Et pourquoi se posait-elle toutes ces questions ? Se pourrait-il qu’elle ait développé une forme d’affection pour ce parasite ?
Alors qu’elle était en train de ranger les bras de sa dernière victime – un homme d’une quarantaine d’années – dans un sac poubelle, elle entendit la sonnette de sa porte retentir…à 3h00 du matin. La police ?
Céline sentit l’angoisse montait en elle. Ça y est, c’était fini. Elle allait finir ses jours en prison, ou pire…
Elle hésita un long moment avant d’ouvrir, mais se dit qu’elle ne pourrait fuir bien longtemps. Autant affronter la réalité dès maintenant. Elle mit ses lunettes et ses gants et ouvrit.
« Bonsoir, Céline. »
L’homme en noir. Celui qui l’avait attaqué cette nuit-là. Céline le reconnut tout de suite car il avait exactement la même apparence que la dernière fois, comme si aucun laps de temps ne s’était écoulé depuis qu’elle était devenue vampire.
« Tu peux enlever tes lunettes et tes gants. »
Céline ne savait pas comment réagir devant cette visite inattendue. Que devait-elle faire ? Lui claquer la porte au nez ? Le tuer ? Lui dire de rentrer au cas où il avait quelque chose d’important à lui révéler ? Elle se souvint alors qu’il était responsable, en plus de sa descente aux Enfers (et donc indirectement de tous ces meurtres), de la disparition de Sonia. La colère monta alors dans le coeur de Céline, et ses yeux devinrent encore plus rouges. Ses crocs s’allongèrent. Sa peau vira à un blanc semblable à de la porcelaine. Sans qu’elle ne s’expliqua pourquoi, elle se mit à quatre pattes et adopta une posture animale – semblable à un lézard. Ses griffes des mains et des pieds s’enfoncèrent dans le plancher. Elle était prête à bondir.
« C’est ça…Laisse échapper ta rage. L’objet de ta haine est sous tes yeux. Je te sens envieuse d’assouvir ta vengeance. »
Céline avait pour la première fois une envie de meurtre sans pour autant avoir soif. Elle ne se reconnaissait plus mais c’était clair, elle voulait que ce monstre paye. Elle bondit sur lui telle une grenouille à ressort. L’homme en noir arrêta son élan d’un seul mouvement de main, sans le moindre effort.
« Tu es encore faible. Ça changera avec le temps. »
Céline sentit sa rage l’abandonner après avoir été arrêtée si rapidement, puis sa colère revint brusquement. Elle donna de toutes ses forces un coup de poing à l’homme en noir qui, cette fois-ci, ne chercha pas à se défendre. Du sang coula de sa bouche.
« C’est tout ce dont tu es capable ? »
Céline donna un autre coup de poing. Même résultat.
- Bref, arrêtons ce petit jeu et discutons un moment, si tu le veux bien, dit l’homme en noir.
- Qu’est-ce que vous me voulez ?
- Te parler. Tu m’offres une tasse de…café ?
Céline regarda l’homme d’un air interrogateur et se dit qu’elle devait peut-être écouter ce qu’il avait à lui dire. C’était surement important, et ça lui permettrait peut-être de retrouver sa soeur.
- Entrez.
- Merci.
Céline ne lui offrit ni une tasse de café, ni une tasse de quoi que ce soit, mais l’invita à s’assoir. Elle n’avait qu’une hâte, c’était d’en finir.
- Alors, comment ça va, ces temps-ci ? commença-t-il.
- A votre avis ?
- Je sais. Il va te falloir un peu de patience pour que tu t’habitues et y prenne du plaisir…mais…n’as-tu pas commencé à y prendre goût ? Je veux dire, au meurtre.
- Non, mentit Céline.
En vérité, même si elle ne pouvait l’admettre – car il faut avouer que c’était une vérité difficile à s’expliquer – elle avait commencé à se prendre au jeu. Séduire des hommes et des femmes pour les assassiner était certes un jeu cruel et macabre, mais un jeu quand même.
- Vous devez savoir que…commença Céline.
- Oui, je sais. Il sortira dans environ deux mois, et il sera bien plus meurtrier que toi.
- Comment je peux arrêter ça ?
- Tu ne peux pas.
Céline avait envie de pleurer. Alors, elle ne pouvait rien faire pour empêcher le monstre qu’elle portait de naître ?
- Et si j’avortais ? s’essaya-t-elle à demander.
- Il survivra. Et il essaiera de t’en empêcher en te faisant mal. Tu as bien dû sentir cette horrible douleur quand tu as voulu t’en débarrasser…Si tu essaies de le tuer, il te tuera. Il sortira alors prématurément, fragile mais en vie. Il n’a pas besoin d’une mère pour grandir. Juste d’un ventre pour naître.
Céline sentit les larmes couler de ses yeux rouges.
- Parfois je le sens…commença-t-elle.
- C’est normal de le sentir bouger.
- Non, je veux dire…pas dans mon ventre. Dans ma tête. Je l’entends. Il me parle.
- Et que dit-il ?
- Qu’il a soif. Que je ferais mieux de faire ce qu’il dit.
- Alors tu sais ce qu’il te reste à faire.
- Pourquoi moi ?
- Les choses sont ainsi faites, il ne nous est pas toujours donné de raisons à notre calvaire. Une personne ayant un cancer se demandera aussi « Pourquoi moi ? » mais personne ne saura lui répondre. Ta maladie à toi, c’est l’enfant que tu portes. N’as-tu pas la moindre affection pour lui, malgré tout ?
Céline réfléchit avant de répondre.
- Je…n’en sais rien, dit-elle.
- Si, tu en as. Sinon, tu ne le nourrirais pas. Tu te serais laissé mourir malgré la douleur en vous privant tous les deux de sang. Tu le sais.
- Qui est-il ?
- Un enfant de la nuit. Non, un enfant de l’Enfer. Ton enfant.
- A quoi ressemblera-t-il ?
- Je n’en sais rien. A quoi voudrais-tu qu’il ressemble ?
- A un être humain.
- Pour ça tu repasseras.
- Je le tuerai quand il naîtra.
- Pourquoi tant de haine ? Tu n’as pas besoin de lui en vouloir pour ce qu’il est. C’est déjà très dur d’être un monstre. Tu le sais depuis quelques jours, et la solitude est en train de t’user…Mais tu connais le bonheur d’être normale. Imagine ce que lui, qui vivra toujours dans la différence et dans la solitude, pourra ressentir.
- Tu m’embrouilles…
Chapitre 7 – Vampire ? Vous avez dit vampire ?
Cinq jours.
C’est le nombre de jour pendant lesquels Céline s’était privée de sang. Elle avait résisté aux demandes tortueuses de l’enfant avec une bravoure exemplaire. Elle ignorait jusqu’alors qu’il était possible de ressentir pareille douleur – à quoi ressemblerait, dans ce cas, l’accouchement ?
La jeune femme ignorait également combien de temps elle allait encore tenir jusqu’à la mort de l’enfant…ni même si elle aurait la volonté de tuer celui ou celle qu’elle portait. Elle remarquait cependant que celui-ci avait de moins en moins de force. Les attaques dans son ventre étaient de moins en moins violentes, la voix dans sa tête, menaçant de la tuer si elle continuait, était de plus en plus faible. Peut-être allait-elle remporter la bataille.
Des changements apparaissaient sur son corps également. Elle paraissait de plus en plus épuisée, son teint avait maintenant quelque chose de maladif et surtout, ses yeux étaient devenus bleus ciel. Elle n’avait donc plus besoin de les cacher, c’était déjà ça. Mais elle n’allait pas pouvoir continuer longtemps comme ça, car elle avait terriblement soif. Elle n’arrivait pas à se résigner à se laisser mourir et voyait cette épreuve de force comme une bataille de volonté : lequel des deux tiendrait le plus longtemps ? Plus le temps passait, moins la douleur physique la dérangeait. Au moins, elle se sentait vivante, elle qui était, en quelque sorte, morte.
Une idée germa dans son esprit. Rien ne l’obligeait à affronter cette épreuve seule. Et si elle en parlait ? Allait-on l’aider ? Certes, personne n’allait croire qu’elle était un vampire – du moins, tant que ses yeux resteraient bleus – mais après des radios, ou bien une échographie, on comprendrait que ce qu’elle portait était une abomination et on l’aiderait à l’extirper. Et là, elle en serait enfin débarrassée. Rien, absolument rien, ne l’obligeait à révéler qu’elle avait un quelconque lien avec tous ces meurtres – ou plutôt ces disparitions. Il lui suffirait de dire qu’elle était enceinte et qu’elle avait besoin de radio. Le reste viendrait tout seul. Si tout se passait comme prévu.
Céline se rendit donc à la clinique la plus proche de chez elle, après avoir maintes fois répété son texte.
- Il me faudrait une rad…une échographie. Je suis enceinte de…7 mois. Mère célibataire.
- Euh…oui, quand les voudriez-vous ?
- Tout de suite ! C’est que…j’ai l’impression que quelque chose ne va pas. Ça me rassurerait.
- Avez-vous vu votre médecin traitant ?
- Il est…en vacances.
Céline l’avait mangé une semaine auparavant.
- Qui est-ce ?
- Monsieur… (le nom d’un autre médecin dans la région, vite !) monsieur Briancha.
- Et vous dites qu’il est en vacances ?
- Oui…je crois…
- Il ne me semble pas. Je vais lui téléphoner pour vérifier.
Céline sentit l’angoisse monter instantanément en elle. C’était fichu. Il allait répondre et dire qu’il ne connaissait aucune Céline Argento.
- Hmm…Il ne répond pas. Bon, on va quand même vous faire cette écho. Installez-vous en salle d’attente.
- Merci.
Céline attendit une bonne demi-heure. Contrainte à ne rien faire, elle était perdue dans mille pensées. Elle ne savait pas à quoi ressemblerait l’enfant, mais elle devinait quelle serait leur réaction quand ils le verraient. Dégoût, peur, cris. Peut-être était-ce le seul moyen de s’en débarrasser. Et après ? Elle resterait très certainement un vampire, elle était condamnée…Mais combien de temps allait-elle pouvoir continuer à tuer avant que la police ne découvre son génocide ? Allait-elle devoir voyager de ville en ville pour échapper à la loi ? Avec quel argent ? Et pour combien de temps ? Non, c’était irréaliste, elle s’en rendait bien compte. La meilleure chose à faire était de se rendre. Elle pouvait leur prouver qu’elle était vampire. Il lui suffisait d’un peu de sang et ses yeux s’embraseraient de nouveau, ses crocs et ses griffes s’allongeraient. Et là, on saurait qu’elle était dangereuse, mais si elle arrivait à prouver qu’elle n’était pas responsable de ses actes, qu’elle n’était pas foncièrement mauvaise, peut-être qu’ils essaieraient de l’aider. Dans le meilleur des cas, ils la garderaient dans un centre et lui donneraient du sang d’animaux. Peut-être même que certaines personnes, fascinés par l’existence des vampires, lui feraient des dons de sang. Eh puis…
« Mademoiselle Argento ? On va y aller. »
Céline sentit l’appréhension qu’elle avait accumulé depuis la prise de sa décision exploser. Il n’était plus possible de reculer. La femme-vampire suivit donc l’infirmière dans un couloir qui lui parut interminable, jusqu’à une petite salle avec une grosse machine. On lui dit de s’allonger.
- C’est la première fois ?
- Oui.
- Détendez-vous.
La faim mêlée à l’angoisse faisant trembler la jeune vampire. Elle savait que ça faisait mauvais genre, mais elle ne pouvait s’empêcher de trembler. L’infirmière étala un liquide visqueux sur son ventre, semblable à de la confiture. Puis, elle y fit promener un petit appareil.
Lorsque les images apparurent, Céline ne su comment les interpréter. Tout ce qu’elle voyait était une masse informe grisâtre bougeant sur un fond noir. Où était la tête ? Les bras ? Les jambes ?
- Détendez-vous, madame, dit l’infirmière, votre bébé semble en parfaite santé. Il est un peu gros pour sept mois mais ce rien de grave. Vous voyez ? Là c’est la tête…
- Non, écoutez-moi, il n’a rien de normal ! C’est un…
- Calmez-vous. Je sais que…
- C’est un monstre ! Vous devez m’écouter ! Il faut que vous me l’enleviez ! Enlevez-moi ça !
- Qu’est-ce que vous dites ?
- Ecoutez, je vais donner naissance à un monstre ! Je suis un vampire !
- Vampire ? Vous avez dit vampire ?
L’infirmière regarda Céline d’un regard qui fit comprendre à la jeune femme qu’elle était prise pour une folle, ce qui l’étonna guère.
« Je sais ce que vous pensez, dit-elle, mais… »
Un homme entra dans la pièce. Céline le reconnu aussitôt. C’était l’homme qui l’avait mis au monde.
« Papa ? Qu’est-ce que tu fais là ? »
« Céline…Il faut qu’on parle… »
« Et plus que tu ne le crois…Sonia a disparu. »
« Tous ces gens, tu les as… »
» Ma soeur a disparue et je crois qu’elle est morte ! »
« Céline…tu es fille unique. »
L’infirmière poussa un cri d’effroi en regardant l’image de l’échographie.
« Est-ce que Sonia va bien ? »
FIN
Par Anthony Auzy
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